La tragédie des horizons

Il y a 4 ans, le 29 septembre 2015, Mark Carney, Gouverneur de la Banque d’Angleterre et Président du Conseil de stabilité financière (FSB), prononçait un discours marquant devant la Lloyd’s of London. Il y mentionne la nécessité de dépasser la « tragédie des horizons » et expose les trois types de risques auxquels le monde financier devra faire face. Nous traduisons ci-dessous des extraits de ce discours, dont l’intégralité est disponible en anglais sur le site de Banque d’Angleterre.

(https://www.bankofengland.co.uk/-/media/boe/files/speech/2015/breaking-the-tragedy-of-the-horizon-climate-change-and-financial-stability.pdf)

Bien qu’il y ait toujours place pour des controverses scientifiques sur le changement climatique (comme sur toute question scientifique), j’ai constaté que les assureurs sont parmi les plus déterminés à s’attaquer à ce problème le plus tôt possible. Rien d’étonnant. Tandis que d’autres débattent de la théorie, vous êtes aux prises avec les faits : depuis les années 1980, le nombre d’événements météorologiques recensés ayant conduit à des pertes financières a triplé ; et, en chiffres corrigés de l’inflation, les pertes d’assurance résultant de ces événements sont passées d’une moyenne annuelle d’environ 10 milliards de dollars dans les années 80 à environ 50 milliards de dollars au cours de la dernière décennie. Les défis que pose actuellement le changement climatique sont modestes en comparaison de ceux qui pourraient advenir. Les plus clairvoyants d’entre vous anticipent des impacts plus globaux sur les biens, les migrations et la stabilité politique, ainsi que sur la sécurité alimentaire et la sécurité de l’approvisionnement en eau.

Le changement climatique est une tragédie des horizons. Nous n’avons pas besoin d’une armée d’actuaires pour nous dire que les effets catastrophiques du changement climatique se feront sentir à un horizon qui dépasse les horizons habituels de la plupart des acteurs, ce qui entraînera pour les générations futures un coût que la génération actuelle n’est pas incitée à prendre en compte. Cet horizon dépasse le cycle économique, les échéances politiques et l’horizon des autorités technocratiques, comme les banques centrales, qui sont liées par leurs mandats. L’horizon de la politique monétaire s’étend à deux ou trois ans. Pour la stabilité financière, il est un peu plus long, mais pas plus que le cycle du crédit – une décennie tout au plus. En d’autres termes, lorsque le changement climatique deviendra un enjeu déterminant pour la stabilité financière, il sera peut-être déjà trop tard.

Le changement climatique peut influer sur la stabilité financière de trois manières principales.

  • Premièrement, les risques physiques. Le passif des compagnies d’assurance et la valeur de leurs actifs financiers peuvent être affectés par des événements climatiques et météorologiques, tels que les inondations et les tempêtes, qui endommagent les actifs physiques ou perturbent le commerce.
  • Deuxièmement, les risques de responsabilité. Les parties qui ont subi des pertes ou des dommages dus aux effets du changement climatique pourraient chercher à obtenir réparation de la part de ceux qu’elles tiennent pour responsables. De telles réclamations pourraient ne pas arriver avant des décennies, mais ce sont les extracteurs et les émetteurs de carbone, ainsi que leurs assureurs éventuels, qu’elles toucheraient alors le plus sévèrement ;
  • Enfin, les risques de transition. Le processus de transition vers une économie moins carbonée pourrait conduire à des risques financiers. Les changements affectant la politique, les technologies et les risques physiques pourraient conduire à une révision de la valeur d’un large éventail d’actifs à mesure que les coûts et les opportunités deviennent plus évidents.

La vitesse à laquelle une telle révision aura lieu est incertaine et pourrait être déterminante pour la stabilité financière. Il y a déjà eu quelques exemples bien connus de perte de valeur brutale du fait de changements de politique environnementale ou de performance.